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Le gigot de Sébillon à 100 ans

ll y a un siècle que l’institution de la porte Maillot régale les appétits cocardiers. Immuable, la carte ne déroge pas aux grands classiques du répertoire bourgeois. Un monument de la mémoire gourmande parisienne où l’on perpétue la découpe au chariot.

Les fortifications de Paris sont encore debout lorsque, en ce printemps 1914, Charles Sébillon ouvre un restaurant à la barrière Maillot, juste au début de la route nationale n° 13, à l’entrée de Neuilly-sur-Seine, joli village de banlieue. Il ne reste que quelques semaines avant le déclenchement du grand cataclysme et la bourgeoisie parisienne s’empresse de découvrir cette nouvelle adresse dont la spécialité est le gigot d’agneau. L’été s’annonce radieux et l’on y vient à pied, à vélocipède ou en voiture
à cheval puisque la cour intérieure du restaurant a été aménagée pour accueillir les attelages. Côté transports en commun, il y a les autos à taximètre, que le général
Gallieni, gouverneur militaire de Paris, réquisitionnera le 6 septembre pour stopper l’avance allemande sur la Marne, et le train métropolitain, construit depuis quatorze ans par l’ingénieur Fulgence Bienvenüe, dont la ligne n°1, inaugurée le 19juillet 1900 par le président Emile Loubet, relie justement la porte Maillot à la porte de Vincennes. C’est dire si l’on accourt de toute part vers ce repaire quasi campagnard pour partager de folles agapes bien arrosées. Charles Sébillon veillera sur la destinée de son restaurant jusqu’en 1936, année où lui succède son neveu Albert Capelle, qui dirigera l’insigne établissement jusqu’à son décès en 1959. Prolongeant l’oeuvre de son mari, qui a fait de Sébillon le rendez-vous de la bonne bourgeoisie de l’Ouest parisien, Mme Capelle entretiendra la flamme jusqu’en 1984, lorsqu’elle cède la maison à Gérard Joulie, déjà propriétaire de deux grandes brasseries de la porte Maillot. La nouvelle provoque aussitôt le désarroi de la clientèle, dont une partie fréquente les lieux depuis trois générations : Sébillon va-t-il perdre son âme ? Inquiétude infondée, faisant fi du bon sens de Gerard Joulie qui, conscient d’avoir pris possession d’un sanctuaire à enseigne historique, s’évertue non seulement de ne rien changer, mais à conforter l’esprit de tradition bourgeoise qui a fait le renom du site.
Ainsi le personnel garde-t-il son look et son style, avec smoking et ronds de jambe, comme la cuisine, accrochée à ses cuivres et à ses fonds de sauce. Cette cuisine qui accompagne les gloires de la France depuis la nuit des temps et voit notre pays sombrer dans la décadence depuis qu’elle-même a été peu a peu remplacée par le
cuite du salmigondis intello-branché. Que l’on se rassure, ce qui se passe au palais de I’Elysee est similaire à ce qui se produit au Guide Michelin. On excelle dans
la promesse électorale non tenue au même titre que ces cartes de restaurant ou chaque intitulé de plat fait trois ou quatre lignes d’un jargon dont le contenu est
aussi vide que celui de l’assiette. Dis-moi pour qui tu votes, je te dirai ce que tu manges.

QUELLE CHAIR, QUEL FUMET!

Pour Gerard Joulie, aujourd’hui rejoint par son fils Christophe pour donner le la à une ribambelle de brasseries gourmandes, il s’agit avant tout de donner à manger.
Donner à manger ? Eh oui, c’est désormais ainsi qu’il convient de désigner la vraie restauration. Cent ans après sa naissance, Sébillon n’a donc point perdu son âme et « M. Charles » n’a aucune raison de jouer au tournedos dans sa tombe. Il suffît de contempler le gigot d’agneau tranché devant vous au chariot par un maître d’hôtel paré comme un lord anglais pour s’en convaincre. Quelle chair, quelle succulence, quel fumet et quelle grâce que ce tableau comme sorti tout droit des archives du Petit Journal ou du Parisien libéré. Du matériel argenté où la denrée est traitée comme une star, pour mettre en scène l’un des fleurons de la gastronomie française : le gigot. Seul changement, hormis l’âge du personnel, qui varie sans cesse, l’origine de l’agneau, qui autrefois provenait des prés salés du Mont-Saint-Michel, avant d’être remplacé par l’agneau allaiton, de l’aveyron oblige puisque les Joulie sont du Rouergue, qui est le nom authentique du département n° 12. Elevé sous la mère et sevré avant qu’il n’acquière une musculature trop dense, cet agneau rustique du causse, presque fermier, bénéficie d’une indication géographique protégée (IGP). Rôti dans les règles de l’art, pas plus de trente-cinq minutes, à tous les niveaux de cuisson pour les amateurs de viande saignante ou croustillante, reposé d’autant devant la porte du four, découpe au guéridon à l’instant et servi, à volonté, avec des lingots blancs tout chauds, ces haricots ariégeois cuits dans la graisse de canard, qui sont au gigot
d’agneau ce que la chevelure blonde est aux sirènes : voici l’une des plus belles assiettes de cuisine parisienne. Que les agapes commencent avec une douzaine
d’huîtres spéciales n° 3 « perles de l’impératrice » de Joël Dupuch et finissent sur une crêpe Suzette flambée au Grand Marnier et la France en restera grandie.
Surtout si le sommelier trouve, entre les crus de la vaste cave, le flacon qui donnera la juste réplique à ce gigot très patriotique.

Marianne – Périco Légasse

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